J'aurai certainement l'occasion de vous reparler du bonhomme en question qui m'est très cher dans d'autres billets.
Voici donc le texte du dossier de presse signé par l'ami Gilles (et diffusé ici avec son autorisation) à l'occasion du lancement du nouvel album de Georges Moustaki, père spirituel auto proclamé des "Vieux machins". Certains d'entre vous savent que Jo fait partie de mes "grands pères de cœur" depuis toujours. Grâce à mes parents, j'ai eu la chance de découvrir ses textes et ses musiques à l'âge ou d'autres n'écoutent que la musique de leur âge. Avec Serge Reggiani, Yves Montand, Georges Brassens et quelques autres, il m'a donné le gout des mots, de la musique qui vient du cœur, le gout de la liberté aussi sans doute, de la solitude certainement. Au delà des modes et des préjugés faciles, j'essaierai ici de vous faire partager les histoires, les musiques, les mots de ces "vieux machins"... En espérant que vous ferez de même avec tous vos "vieux machins" à vous, ceux qui vous accompagnent tout comme moi, tout au long de notre vie... Nos "madeleines de Proust" à nous...
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Georges Moustaki "Solitaire"

En Mai 68, Georges Moustaki, 34 ans, était à la Sorbonne. Il contestait. Il était heureux. Il se souvient :
- "1968 a été un moment très joyeux. Je vivais un peu en retrait : je m'étais installé sur l'Île Saint-Louis et profitais gentiment de la vie et de l'oisiveté, grâce aux droits d'auteur que m'avaient rapporté quelques chansons, dont Milord… Le mois de Mai fut pour moi un moment de grande poésie, au-delà de l'événement politique : celle-ci s'exprimait par les paroles, par les slogans sur les murs, par les affiches collées à la sauvette. Sous les pavés, la plage, Prenez vos rêves pour des réalités, L'imagination au pouvoir… Et même le fameux Il est interdit d'interdire, pourtant parodique, lancé à la radio par Jean Yanne…
J'étais proche des frères Jacques et Pierre Prévert, je connaissais le groupe Octobre et son importance, une trentaine d'années plus tôt, pendant le Front Populaire. Durant les événements de Mai, j'ai naturellement été attiré par ce qui se passait dans les rues, dans les amphis, j'ai brièvement eu l'impression de revivre ce rapport intime entre l'art et les mouvements sociaux. J'ai beaucoup participé à cette saine agitation, et contrairement à ce que pensent certains, on ne se débarrasse pas comme ça de cet héritage. Si notre Président prend la peine de dire qu'il veut l'anéantir, c'est que cette chose reste importante ; elle l'agace, elle l'encombre, elle le contrecarre, elle lui reste en travers de la gorge…
Quarante ans après, Mai 68 est pour moi synonyme de liberté, une liberté qui s'exprimait au quotidien. Cela n'a duré que quelques semaines, mais tous les jours on respirait mieux. Et quand Mai 68 s'est achevé avec la réouverture des stations d'essence, que les gens ont pu remplir leurs réservoirs pour partir en vacances ou reprendre leurs activités, on a à nouveau respiré plus difficilement…"
En mai 2008, Georges Moustaki chante à l'Olympia - une étape parmi d'autres dans un never-ending tour à la Bob Dylan qui le voit, chaque année, se produire partout en France et à l'étranger, fidèle à sa qualité de citoyen du monde, qui lui fut offerte à sa naissance, à Alexandrie.
- "Je suis né dans un monde où les religions et les cultures se mélangeaient, le microcosme alexandrin. Lorsque je me suis mis à courir le monde, je me suis senti partout chez moi. Je ne sais pas si je voyage pour chanter ou si je chante pour voyager mais les deux son très liés… La musique est universelle et j'ai la chance de composer des mélodies qui s'exportent : partout dans le monde, des gens viennent m'applaudir qui ne comprennent pas forcément mes paroles, mais en captent le son et le sens ; ils savent ce que je pense."
Parfois, des gens qui connaissent mal Moustaki l'imaginent en éternel oisif, vivant en ermite sur l'Île Saint-Louis, se contentant de publier un album tous les trente-six mois. Puis ils se penchent sur son emploi du temps et s'aperçoivent qu'il est tout le temps sur les routes.
- "C'est ma manière de vivre : donner des concerts ce n'est pas seulement aller chanter dans tel ou tel endroit, c'est voir des pays, des paysages, c'est rencontrer des gens, se faire des amis. C'est aussi vivre avec les musiciens, et avec ceux qui m'accompagnent, certains depuis plus de quinze ans, j'ai l'impression de vivre une éternelle lune de miel. Avant les concerts il y a les répétitions, qui sont l'occasion de s'amuser, de chercher des idées, puis il y a les soirées avec les techniciens, les musiciens. Je n'ai pas l'impression de sortir de mon monde pour aller dans celui du travail, plutôt de prolonger ailleurs mon amour pour la chanson. Je suis à l'aise sur une scène, j'y vais en toute sérénité, pour éprouver du plaisir, du bonheur et du partage. En somme, j'ai l'impression de travailler toujours et de ne travailler jamais."
En mai 2008, Georges Moustaki publie un nouvel album intitulé "Solitaire", réalisé par Vincent Ségal, enregistré et mixé par Djoum à Bruxelles, au studio I.C.P.
- "C'est à Bruxelles que pour la première fois j'ai été payé pour ce que j'aimais vraiment : faire de la musique. Cela se passait au milieu des années 1950. Je me suis retrouvé coincé deux mois dans la capitale belge, n'ayant plus d'argent pour le voyage que j'avais projeté de faire jusqu'en Hollande, plus d'argent non plus pour rentrer à Paris… Il a fallu que je cherche du travail : ne sachant rien faire d'autre que la vaisselle et jouer de la musique, je suis entré dans un restaurant à proximité de la Grand-Place et j'ai proposé mes services. On m'a engagé sur le champ et ce fut un bonheur - j'étais sans doute un piètre pianiste, mais je devais y mettre tant de plaisir que je faisais illusion. Celle-ci me donnait une aura, j'avais un public de jolies femmes qui venaient m'écouter et m'encourager. J'ai découvert à Bruxelles le monde de la nuit, de la pègre, de la prostitution, de la drogue ; mes nuits s'achevaient dans une cave où l'on jouait un jazz très moderne… De cette brève expérience, j'ai tiré un livre, une sorte de polar, Petite rue des Bouchers, paru il y a quelques années… J'aime cette ville, je m'y sens chez moi, j'ai eu le temps de m'y faire des amis, d'apprendre des expressions bruxelloises, d'en savourer l'accent. Je suis par exemple l'un des seuls non-Bruxellois à savoir que Djoum, qui est le surnom de l'ingénieur du son du studio I.C.P. est la contraction de djoum-djoum qui veut dire zinzin, fêlé, un peu timbré…"
"Solitaire" est donc réalisé par Vincent Ségal, la moitié de Bumcello, le violoncelliste de -M-, l'aventurier insaisissable que l'on a vu aux côtés de Brigitte Fontaine, Agnès Jaoui, Elvis Costello, Laurie Anderson, Dick Annegarn, Franck Monnet, Cesaria Evora, Vanessa Paradis, Susheela Raman, Oshen ou le Sacre du Tympan…
- "Les hasards de la vie - auxquels je ne crois pas, je suis persuadé que certaines choses sont écrites, qu'on appelle cela le destin, ou les synchronicités - font que je suis très ami avec l'une de ses voisines. Souvent, quand je lui rendais visite, du côté de Saint-Paul, pas loin de chez moi, en somme, j'apercevais Vincent dans son antre, son minuscule atelier rempli d'instruments, en passant dans la cour. On nous a présentés, nous avons parlé musique, il ne m'a pas fallu deux minutes pour comprendre que j'avais en face de moi un vrai musicien, quelqu'un d'à la fois talentueux et érudit. Lorsque je lui ai confié mes chansons, je lui ai donné toute liberté, tant au niveau des arrangements que de la réalisation. S'il a été impressionné, ce n'est pas par moi, c'est de prendre la place de ses illustres prédécesseurs, tels Jean-Claude Vannier ou le Brésilien Francis Hime."
"Solitaire" s'ouvre sur Le Temps de nos guitares, qui rend hommage - sans les citer tous, mission impossible - à ceux qui, armé de leur seule guitare, cette machine qui tue les fascistes, comme disait Woody Guthrie, ont changé notre vie. On y croise Dylan, Brassens, Brel, Aufray, Salvador, et même Gainsbourg ou Coluche.
- "Chaque fois que j'écris, que je finis une chanson je pense à Brassens : je me demande s'il en aimerait l'idée, le développement, si j'ai été aussi loin que possible dans la recherche des mots et des rimes. Pour l'anecdote, celui à qui j'ai déjà consacré une chanson, Les Amis de Georges, n'a jamais su pourquoi je porte son prénom. L'histoire est pourtant simple : je m'appelle Joseph, mais tout le monde dit Jo… Et Jo est aussi le diminutif de Georges. Lorsque j'ai débuté dans la chanson, je voulais signer mes disques Moustaki, sans prénom, mais une lettre de menaces, d'un homonyme, m'a incité à en adopter un. Jo était trop bref, j'ai opté pour Georges. J'avais avec lui des rapports très rares et pudiques… Pour ceux de ma génération - je l'ai découvert à l'âge de 18 ans - il a eu une importance exceptionnelle, il a fait souffler un vent de liberté dont on sent encore les effets. Quant à Coluche, je le cite parce que je l'avais repéré longtemps avant qu'il soit célèbre, à l'époque où, après avoir terminé de faire la plonge, dans un resto, il prenait sa guitare et chantait du Aristide Bruant. Enfin, j'ai un souvenir très précis de Gainsbourg jouant de la guitare lorsqu'il accompagnait Michèle Arnaud au Milord l'Arsouille, avec Jacques Lasry au piano."
"Solitaire", paradoxalement, est surpeuplé de gens de talent. Les musiciens de Georges, pour commencer : Toninho Do Carmo aux guitares, Luiz Augusto Cavani à la batterie, Francis Jauvain à l'accordéon. Puis des invités, tels Marcel Azzola à l'accordéon, Marco Arietas à la guitare, Sarah Murcia à la contrebasse, etc.
Puis il y a les duos. À commencer par Sans la nommer, chanson des années 1970 revisitée avec Cali, rencontré lors d'un concert de soutien, au printemps 2007, à Ségolène Royal. Il y est question, on s'en souvient, d'une jolie fleur du mois de Mai, que l'on traque et que l'on matraque, que l'on nomme révolution permanente…
Avec Vincent Delerm, Georges chante les charmes d'Une Fille à bicyclette, comme on en voit de plus en plus depuis l'instauration du Vélib, raison pour laquelle la chanson se conclut sur un clin d'œil au maire de Paris.
Avec Stacey Kent, il adapte Chico Buarque : Partager les restes évoque une rupture, entre douceur et acrimonie.
Ensuite, China Forbes, délicieuse chanteuse de Pink Martini, avec qui Moustaki rêvait de chanter depuis des années. Elle est présente sur deux titres : les reprises de Ma solitude, classique moustakien créé en 1967 par Serge Reggiani, et de Donne du rhum à ton homme…
- "J'aime énormément cette chanson, elle occupe une place importante dans mon répertoire, en particulier sur scène, au cœur de mon récital. Elle me rappelle de bons souvenirs, où et quand je l'ai écrite, à la manière des calypsos d'Harry Belafonte. Il n'en existait jusqu'à ce jour que des versions enregistrées en concert, je souhaitais qu'il en existe une en studio. Un jour que je chantais en Martinique, des spectateurs sont venus me dire : J'espère que ce soir vous chanterez notre chanson… Ils étaient persuadés que Donne du rhum à ton homme faisait partie, depuis des lustres, de leur folklore, alors que j'en ai écrit paroles et musique… C'était évidemment le plus beau compliment qu'ils pouvaient me faire !"
De grands moments d'émotion attendent l'auditeur attentif. Sorellina, par exemple, chanson dédiée à l'une de ses sœurs, qu'il n'a pas vue durant des années malgré une tendresse indéfectible, enregistrée en une seule prise, au cœur de la nuit, en tout petit comité… Mélanie faisait l'amour, tendre portrait d'une femme qui aimait les hommes. La Jeune Fille, émouvant dialogue, dans lequel Moustaki réussit l'exploit de se glisser dans la peau d'une adolescente rebelle. Sans oublier Solitaire, la chanson qui donne son titre à l'album :
- "C'est une profession de foi. Ma solitude et moi, cela fait des dizaines d'années ans que nous vivons en parfaite harmonie. Je n'aurais jamais eu une aussi longue relation avec une femme ! Je suis quelqu'un de très sociable, je crois, mais j'ai besoin de beaucoup de solitude pour travailler, pour créer. Mes moyens de transport préférés me trahissent : je ne me déplace qu'en scooter ou à moto, parce que là aussi j'ai besoin d'être seul. Il faut constamment que je sois en mesure de laisser mon esprit vagabonder à sa guise. De cette façon, mon bureau des idées est toujours ouvert !"
Moustaki, chanteur engagé qui jamais n'élève la voix - Léo Ferré lui avait dit un jour tu murmures ce que je hurle - ne conçoit pas un album comme une suite de chansons :
- "C'est un plaisir indescriptible que de travailler sur un nouvel album. De se dire que du néant une chanson va surgir, puis une autre, et une autre encore. Que de l'imaginaire quelque chose de concret va prendre forme, d'abord avec ma guitare, sous mon toit, puis avec mes musiciens, puis sur scène, en studio avec un réalisateur… Ensuite, de s'imaginer que des gens vont écouter ces nouvelles chansons, vont les fredonner, peut-être même leur donneront-elles l'envie de danser… Je me dis qu'avec un peu de chance, je vais offrir de la joie, du bonheur ou matière à réfléchir à ceux qui m'écouteront. Je vais les emmener en voyage : ce processus magique m'émerveille comme au premier jour."
Gilles Verlant
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